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LALLEMAND Yvon (1948 - 2011)





(Cette page a été créée par Annie Massy avec les conseils et soutiens de : Gil Mélison-Lepage, Anne-Marie Lallemand et Philippe Savouret)

1 - Lieux associés

2 - Eléments biographiques
- Enfance dans la Moselle de l'après-guerre
- L'Algérie et le retour difficile
- Années fastes
- La maison Bleue
- Le dernier des poètes maudits
- "Quizz de Proust" : testament spirituel

3 - Président de l'Association des écrivains de Haute-Marne pendant 19 ans
- Découvreur de talents

4 - Le conteur des légendes haut-marnaises

5 - Extraits de son oeuvre sur la Haute-Marne

6 - Pour aller plus loin


• 1 - Lieux associés :


Saint Dizier : la ville de sa vie

- Le lycée privé catholique ESTIC : Yvon y a exercé toute sa carrière professionnelle, y a rencontré son épouse, Catherine, y a découvert des talents littéraires...
- Librairie L'Aphabet, au début de la rue du Docteur Mougeot puis au quartier populaire du Vert-Bois : Catherine l'avait achetée au début de son mariage avec Yvon
- la "Maison Bleue" : Yvon et sa famille s'y étaient installés pendant leurs années heureuses
- Quai Berthelot : Yvon a passé les derniers mois de sa vie dans une maison modeste au N° 13
- Cimetière de la Noue : c'est là qu'il est enterré

Chamouilley (à côté de Saint-Dizier) :

Yvon a vécu quelques années, au début du vingt et unième siècle, dans une maison rustique, "La Forge Haute" (au N°6). Après ses déboires, c'est là qu'il aurait pu se reconstruire avec sa nouvelle compagne, Michèle. Il disait que c'était la maison idéale pour lui. La pièce à vivre et la terrasse s'ouvraient sur les champs et la nature. Il pouvait y peintre et écrire à son aise. Il a dû quitter ce havre avec le départ de Michèle et selon le souhait du propriétaire d'y reloger.

Chaumont :
Ses parents y ont pris leur retraite de 1972 à 1991, rue Max Chauvet.
Sa soeur Anne-Marie y a été Percepteur, avenue du Général Leclerc. C'est chez elle qu' Yvon a trouvé refuge, pendant un an, après son séjour en Algérie


2 - Eléments biographiques- Enfance dans la Moselle d'après-guerre :



Yvon Lallemand naît à Thionville en Moselle le 3 avril 1948. Il est le dernier d'une fratrie de quatre enfants : Roger (1936-2000), Andrée (née en 1937) et Anne-Marie (née en 1940).
La famille a été bousculée pendant la guerre. En 1939 elle refuse de vivre dans une Lorraine allemande et part avec presque rien dans un meublé de Nancy. Le père installe son épouse et ses trois jeunes enfants comme il peut, et avec l'aide des villageois, à Marainviller (Meurthe et Moselle) où il enseigne jusque 1945. Parents et enfants rentrent alors à Illange, au milieu des ruines pour se retrouver une fois encore en meublé, le temps que l'école soit reconstruite.
Yvon Lallemand naît en 1948. Il reçoit, comme ses frère et soeurs une éducation très stricte dans la tradition catholique mais son statut de petit dernier de la fratrie en fait le protégé de tous et particulièrement de ses soeurs.



• - Formation


Le père d'Yvon surveille avec soin ses études, comme celle de ses frère et soeurs, sanctionnant le moindre écart. Après l'école primaire, Yvon entre au lycée de Thionville (Moselle). Il est plutôt bon élève, surtout en français mais n'aime pas les mathématiques et refuse d'étudier l'allemand, en dépit de son nom !
Il peint très jeune : il présente d'ailleurs ses premières expositions dès l'âge de dix-sept ans.
Après son baccalauréat, il obtient une licence puis une maîtrise de Lettres à la faculté de Nancy, mention Bien, en 1971


• - L'Algérie et le retour difficile


(L'enregistrement audio de "Terre d'Ombre Brûlée" souvenirs du séjour en Algérie)

De 1973 à 1976, il fait son service militaire comme coopérant en Algérie. Il enseigne le Français au lycée Zerrouki de Mostaganem. Loin de ses repères, il mène une vie débridée où la peinture se mêle aux vapeurs d'alcool et de tabac. C'est là qu'il écrit une sorte de journal délirant qui deviendra en 1978 le roman poétique "Terre d'Ombre Brûlée" où il exprime sa conception de l'art pictural.
Le français devenant langue étrangère dans un pays à nouveau arabisé, son contrat n'est pas renouvelé.
Yvon revient en France et, au chômage, il trouve refuge chez sa soeur Anne-Marie de septembre 1976 à septembre 1977. En vacances à la montagne, il écrit son premier recueil de légendes haut-marnaises. Pendant son séjour familial, il se lie avec des peintres de la région de Nogent.


• - Années fastes


Le 14 septembre 1977, il est engagé comme professeur de Lettres au lycée privé l'ESTIC de Saint-Dizier. Il accomplit toute sa carrière professionnelle dans cet établissement. Il y franchit, une à une, toutes les étapes de la titularisation, comme il était alors possible, jusqu'à intégrer le corps des titulaires du CAPES en 1993.
C'est d'ailleurs dans cet établissement qu'il rencontre Catherine, une de ses élèves qui devient plus tard son épouse, en 1983. Cette jeune fille enthousiaste achète une librairie, "l'Alphabet", dans le quartier populaire du Vert-Bois, plus tard transférée rue du Docteur Mougeot. Après la naissance de leur troisième enfant de son union, elle passe avec succès le concours de Professeur des écoles.

L'installation à Saint-Dizier marque donc le début d'une période faste sur tous les plans. En 1978 Yvon obtient un prix littéraire du Conseil général avec "Terre d'Ombre Brûlée", roman poétique. En 1980 et 82, il publie ses premières séries de contes et légendes de la Haute-Marne dont le succès est immédiat. En 1984, il présente au public son "Verger en Lorraine" Ses lecteurs l'apprécient et lui sont fidèles à chacune de ses parutions.

• - La maison bleue


Le couple achète une maison à Saint Dizier, au fond d'une l’impasse, perdue dans la verdure. C'est le « jardin du peintre » qui, à l’instar de celui de Monet, offre aux visiteurs le calme et la sérénité. Yvon adorait cette maison hors le temps, véritable havre de paix. L’ancienne maison du jardinier de l’usine attenante, comme il aimait à le rappeler, était devenue le rêve bleu du peintre, la toile de fond inspiratrice de l’écrivain, un jardin en fleurs, des fenêtres en charmilles, des allées en tableaux, des fauteuils en bras ouverts. Un jardin habité par une colonie de chattes noires aux yeux turquoise.
ll faisait bon s’y retrouver autour d’une table toujours dressée pour les copains.

• - Le dernier des poètes maudits du millénaire passé


Yvon aime les amis et la fête mais ne gère pas les limites. Il ne manque pas d'idées mais il lui faut un groupe de personnes motivées et dévouées pour les mettre en application. Il cache aussi une mélancolie chronique, celle d'une reconnaissance qu’il estime insuffisante. Il vit mal aussi l'obligation d’être enseignant alors qu’il rêve d’être uniquement un artiste. Il se laisse aller aux extrêmes. Il appartient aussi à cette époque révolue où l'on croit que pour être Verlaine, il faut en vivre les excès ; où l'on est considéré comme un homme quand on a bu ; où l'on distribue du tabac gratuit aux soldats pour leur donner l'habitude de fumer régulièrement.

Catherine et les enfants ne peuvent plus rester avec lui ; la "maison bleue" est vendue, Yvon a du mal à refaire surface. Il doit être hospitalisé et le vit très mal. Il écrit alors des récits intenses autobiographiques où il donne sa version des malheurs qu'il subit.
Le 3 mai 1999, il entame un arrêt maladie qui devient invalidité jusqu'à la date de sa retraite en 2008. Il dépense plus qu'il ne gagne et ne déclare pas correctement sa situation personnelle ; à la suite d'un contrôle fiscal, on lui demande plusieurs années d'arriérés d'impôts qu'il ne peut rembourser.

Ses dernières années ne sont pas totalement noires même s'il se plaît à le dire : Yvon est un personnage touchant, un bon copain qui ne reste jamais totalement seul dans ses soucis. Il se lie quelques années avec une nouvelle compagne, Michèle. Ses amis, comme ses lecteurs, lui restent fidèles. Il se donne des allures de provocateurs mais sans chercher à nuire. En peinture, il s'invente un style : le "Rap-art" (clin d'oeil aux remparts de Saint-Dizier ?).
Dans ses actions publiques, il peut compter sur des soutiens forts (Gil Mélison-Lepage et des amis peintres de l'Atelier Calvès, notamment). Dans sa vie privée, ses soeurs, comme le frère de van Gogh, l'entourent et le prennent en charge jusqu'à sa mort, de maladie (cancer), le 12 février 2011.

Il est enterré au cimetière de la Noue (Saint Dizier) entouré d'une centaine d'amis peintres et écrivains. Le dernier de nos poètes maudits a même droit à des fleurs de la Ville de Saint-Dizier et des discours officiels. Malgré ses allures faussement rebelles, il aurait apprécié, lui qui mourut en ayant peur d'être oublié (voir : le "Quizz de Proust" ci-dessous).

• - Quizz de Proust : testament spirituel


Un mois et demi avant la mort d'Yvon, le Journal de la Haute-Marne faisait paraître dans son supplément du dimanche (26 décembre 2010) les questions et réponses suivantes qui sonnent comme un testament spirituel :

- Votre principal trait de caractère : Têtu comme un Lorrain.
- La qualité que vous préférez chez un homme : La fidélité en amitié.
- La qualité que vous préférez chez une femme : La gentillesse.
- Ce que vous appréciez le plus chez vos amis : humour et la simplicité.
- Votre principal défaut : Je pardonne tout.
- Votre rêve de bonheur: Être Touareg dans le Sahara.
- Votre sport préféré : La boxe.
- Quel serait votre plus grand malheur ? Etre oublié et non reconnu.
- Le pays où vous désireriez vivre : Aux iles Marquises.
- En quoi voudriez-vous être réincarné ? En moi-même, avec plus de reconnaissance.
- Votre auteur favori : Rimbaud.
- Votre artiste (musique) favori : Beethoven.
- Votre acteur (actrice) préféré : Clint Eastwood.
- Votre idole: Che Guevara.
- Ce que vous détestez par-dessus tout : Le mensonge et l'hypocrisie.
- Le don que vous aimeriez avoir : Savoir jouer du piano.
- Comment aimeriez-vous mourir ? Le plus tard possible et en bonne santé.
- Votre état d'esprit présent : Le calme et l'espoir de vivre.
- Ce que vous avez dans les poches à cet instant : Un portable,- un porte-monnaie, un stylo, un carnet de notes et mes clefs.
- La faute qui vous inspire le plus d'indulgence : La faute de frappe...
- Votre devise : "Non au non-dit !" ou "Tout s'arrange toujours".
- La matière que vous détestiez le plus à l'école : l'allemand.
- L'événement sportif qui vous a le plus marqué : La Coupe du monde de 98.

(Ce texte est reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien)

• 3 - Président de l'association des écrivains de Haute-Marne pendant 19 ans


(Photo : Yvon Lallemand parle de son oeuvre lors du salon du livre de Chaumont de 2008 - table ronde sur le voyage en Méditerranée, organisée par Annie Massy)

En 1982 naît l'Association des écrivains de Haute-Marne, autour de son premier président, Yves-Marie Debande. Elle regroupe alors Robert Collin, Irène Peiffert, Yvon Régin, Jean Robinet et Yvon Lallemand. Celui-ci en devient président de 1984 à octobre 2000, puis à nouveau de 2005 à 2008. Il en est alors nommé Président d'honneur.

Yvon était un président farceur entouré d'une bande de joyeux drilles. Les réunions se tenaient dans divers bistrots de la Haute-Marne : Chaumont, Joinville, Nogent, Brethenay, Condes ....Yvon n’était pas très académique et les réunions se tenaient sans véritable ordre du jour. Chacun y prenait la parole, faisait part de ses dernières productions. On lisait, on chantait, on trinquait et on riait beaucoup. Parfois même, René Barbaux jouait de l’accordéon ou Guy Chaudet de la clarinette ; Yvon Gaillet déclamait quelques vers subversifs et comiques. Yvon jubilait. Il se réjouissait de ces rencontres artistiques du département auxquelles assistait un noyau de fidèles, pour lesquels la mise en valeur de leurs œuvres n’était que le prétexte à des retrouvailles entre compères. Ainsi Savigny représentait un rendez-vous annuel incontournable : "La grange de Monsieur Mortel" abritait le stand de l'association et la petite goutte de ce dernier alimentait les discussions du soir très animées avec Robert Collin, Jean Robinet et Yvon entre autres...

Tout jovial que soit son Président, L'association n'en avait pas moins des activités sérieuses. Yvon avait beaucoup d'idées mais c'étaient ses proches qui les mettaient en pratique. Il avait autour de lui une équipe active et nombreuse avec, notamment : son épouse Catherine, ses beaux parents et Gil Mélison-Lepage qui assure à la fois le secrétariat et la trésorerie de 1992 à octobre 2000 (avec une interruption de mars 1996 à janvier 1998 : Gil était alors adjointe à la culture de Saint Dizier et par honnêteté, elle ne pouvait à la fois demander des subventions et les accorder).
C'est une décennie active pour l'association des écrivains de Haute-Marne.
En 1991 et 1993 ont lieu les premiers salons organisés par l'association des écrivains de haute-Marne à Saint Dizier.
En 1995 et 1997 sont organisés les "Germinal du livre", salons littéraires de Saint Dizier, avec la société des Lettres. En 1999, l'association des écrivains de Haute-Marne monte le salon "Plumes et Pinceaux", toujours à Saint Dizier, qui réunit, à l'instar d'Yvon, peintres et écrivains.

Yvon Lallemand a également été président d'une association organisatrice d'un salon pictural à Saint-Dizier : "Tête de l'Art" et a fait partie d'une association de peintres : l'Atelier "Marie Calvès".

Lorsque Yvon Lallemand quitte sa première présidence de l'association des écrivains de Haute-Marne, les rendez-vous littéraires continuent grâce à Gil Mélison-Lepage : salons du livre dans les principales villes du département, écriture collective du livre "52 Ecrivains haut-marnais : de Jean de Joinville à Jean Robinet" (qui préfigure la "Route des Ecrivains" sur ce site), promotion de cet ouvrage et de l'association dans la région...

La fin du siècle voit en outre, pendant deux ans, s'installer une fois par mois des rendez-vous littéraires à Chaumont : "Samedis aux Silos". Sous l'impulsion d'Annie Massy, les membres de l'association viennent y parler en public et discuter autour d'un thème : Albert Kritter et ses fleurs ; Patrick Quercy et Sarejevo,; Annie Goutelle et le conte, Annie Massy et le nouveau roman, Philippe Savouret et Dimey, Gil Mélison-Lepage et la littérature érotique, Jérôme Prévost et Rimbaud....

Après la seconde présidence d'Yvon, l'association devient l'AHME (Association Haut-Marnaise d'Ecrivains), un détail qui n'est pas anodin, puisqu'il marque son extension et son ouverture avec l'accueil de talents littéraires de tous horizons.

Yvon Lallemand a donc eu la chance d'accompagner la naissance et le développement d'une association littéraire aujourd'hui bien implantée.

• - Découvreur de talents :



Yvon, en tant que professeur, est aussi un découvreur de talents :
Jérôme Prévost était un de ses élèves qui écrivait des sonnets depuis l'âge de seize ans. Il en avait même créé un pour pasticher son "maître", intitulé "Troupeau de rêves". En 1994, Yvon l'encourage à participer au "Prix Arthur Rimbaud" organisé par le Ministère de la Jeunesse et des Sports. Jérôme rassemble ses textes, en écrit d'autres alors qu'il prépare des concours d'entrée dans de grandes écoles. Son recueil "Caromantique" est envoyé le dernier jour réglementaire. Il se mesure à cinq cent cinquante manuscrits de toute la France. En octobre 1994 (alors qu'il a eu dix-huit ans en août 94) 'il reçoit, des mains de Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Jeunesse et des Sports, le prix Arthur Rimbaud doté de trente mille francs, soit un peu plus de quatre- mille-cinq-cents Euros. Yvon, bien sûr, est avec lui le Grand Jour.

• 4 - Le conteur des légendes de Haute-Marne


L'oeuvre d'Yvon Lallemand est orientée dans deux genres.

D'une part, il est l'auteur de récits fortement autobiographiques où il se laisse aller à des délires d'une richesse littéraire qui ne laisse aucun lecteur indifférent. La plupart restent inédits mais en 2008, à l'occasion du salon du livre de Chaumont, l'AHME a fait enregistrer sur ses fonds, quatre cédéroms d'une version audio de l'un d'entre eux : "Terre d'Ombre Brûlée" (il en a été tiré trente coffrets de collection, numérotés de 1 à 30, et qui constituent, aujourd'hui, des documents précieux)

D'autre part, Yvon Lallemand est un conteur exceptionnel qui a réuni cinq volumes de récits fantastiques, légendaires et historiques du département : plus de quatre cent cinquante textes courts ont été ainsi inspirés par la tradition orale, des coutumes ancestrales mais aussi embellis par son imagination. Ce mélange de tradition, d'invention et d'authentiques références historiques en rend la lecture passionnante.
Le Grand Pardon de Chaumont et ses "diableries", l'origine du nom "bragard", le grand incendie de Saint-Dizier, les sorcières du Cognolot, la légende de Sabinus et d'Eponine et bien d'autres, sont des incontournables de la culture haut-marnaise qu'il fait cohabiter avec des anecdotes plus ordinaires et qu'il sait rendre touchantes et tout aussi intéressantes.
Yvon sans tabou n'hésite pas à l'occasion, à départementaliser des récits voisins : il adopte par exemple, une partie des aventures des quatre Fils Aymon et de leur cheval Bayard si chers aux Ardennais. Il n'hésite pas à égratigner ici ou là, en passant l'intolérance religieuse et les préjugés qui conduisent à des actes violents. Ailleurs, il laisse son humour s'épancher : suite à un pari avec des élèves, il publie dans un recueil, une nouvelle où il les cite tous.
Yvon Lallemand excelle dans les descriptions qui instaurent une ambiance à la fois de suspense et d'étrange. Il transfigure les paysages avec des mots comme le peintre avec des pigments. Les liens qu'il instaure entre texte et couleurs est une des clés de son talent. Son style reste cependant léger avec souvent un recul humoristique ; apparemment spontané : cette fausse simplicité, en fait très travaillée, le rend accessible à tous les amateurs du genre.

L'écrivain natif de Lorraine marque donc d'une empreinte indélébile l'âme littéraire haut-marnaise pour en avoir rassemblé et magnifié les racines légendaires et populaires.

• 5 - Extraits d'oeuvres (en cours)


"Nul n'ignore que la Haute-Marne a un riche passé historique et que les vestiges de vieux châteaux y sont nombreux, comme sont nombreux les seigneurs et les grandes familles qui y demeuraient. La famille d'Anglure possédait Essey, Donjeux, Choiseul, Rimaucourt, Longeville, Bonnecourt, Coublanc, Guyonvelle.
A la fin du XIIe siècle, sous Louis-Auguste, un seugneur d'Anglure, parti aux Croisades, fut fait prisonnier par Saladin lors de la prise de Jérusalem."
_La Légende de Saladin d'Anglure_

"Chaque région a eu ses croyances obscures, ses superstitions et ses sorciers.
En Haute-Marne, on avait coutume de dire que le Diable, que l'on appelait le Foulletot ou Foulleteu (ce nom est d'ailleurs resté à plusieurs moulins et lieux-dits), avait choisi comme retraite et haut-lieu une montagne des environs de Langres, Le Cognelot, d'où l'on pouvait dominer tout le pays."
_Les Sorciers du Cognelot_

"Sous de larges plaques de brumes opaques, la Haute-Marne s'étendait, majestueuse et toujours variée, offrant aux regards du voyageur sa palette multiple et son imagier fécond.
L'automne avait peint les forêts et surplombait la route de milliers de taches jaunes, brunes, rouges et ocre.
Autour du conducteur, les feuilles mortes dansaient des sarabandes mélancoliques, puis se disputaient soudain et s'en allaient en arrière, dans le tunnel de la route faite, jusqu'à se perdre en un combat arachnéen évaporé sur l'horizon. (...) Il contempla les prairies d'un vert Véronèse, pâle et humble, engourdies sous les brouillards bleutés desquels, fantomatiques et muettes, quelques vaches noires parfois naissaient, puis s'en retournaient, comme imbibées par des mystérieuses marées du ciel."
_Les Dames de Poulangy_

"Je ne connais guère de sites plus mornes, ni de plus imposants : d'un côté les hauteurs du Clairchêne, avec leurs arbres énormes, séculaires ; de l'autre, les taillis confus et sombres des bois communaux ; et au milieu, la vallée qui s'infiltre dans la haie d'honneur de ces géants.
Pas un souffle de vent ; presque pas d'oiseaux. Un calme effrayant dans un lieu abandonné."
_ La Légende du Couvent Maudit_

"Quelles étaient gaies nos jeunes pucelles, blondes comme les blés, couronnées de fleurs des champs, faisant voler leurs jupes et sonner leurs sabots ! Quand elles passaient, les oiseaux se taisaient, les rivières ne murmuraient plus, les feuilles s'arrêtaient de frisonner au vent. Et les gars de notre village posaient la cognée, la fourche et la faucille pour voir passer sous les feuillages ce ruban colorié de vie..."
_Le Retour du Sire de Savigny_

• 6 - Pour aller plus loin


Yvon Lallemand en tant que membre de l'AHME a sa page personnelle dans la partie "auteur" de ce site avec, notamment des réactions après son décès : discours de Gil Mélison-Lepage et d'Annie Massy à son enterrement.
L'AHME possède encore quelques exemplaires de collection du coffret audio de "Terre d'Ombre brûlée" document désormais extrêmement précieux.

En plus des oeuvres ci-dessous et présentées sur ce site, Yvon Lallemand a écrit "Troupeau de Rêves", un recueil poétique, en 1984

Plus d'information :
>> Pour accéder directement à sa page d'auteur de l'AHME, cliquer ici :
>> Pour connaître l'histoire de l'association, cliquez ici :

Liste d'oeuvres :
"Qu'c'est rose en blagues..!" (1995)
52 contes et légendes des hameaux de Haute-Marne (1993)
52 Ecrivains Haut-Marnais de Jehan de Joinville à Jean Robinet
Chapeau venteux (1995) (Le)
Contes des brumes haut-marnaises (1982)
Contes et légendes du vieux pays haut-marnais (1980)
Haute-Marne, Terre de Légendes (2008, choix de contes déjà édités et quelques nouveaux)
Terre d’Ombre Brûlée (roman poétique, prix du Conseil Général de Haute-Marne, 1978)

 

Aspects de la déportation en Haute-Marne
(1940-1944) 

Par Francis Michelot, responsable du service éducatif des
Archives départementales de la Haute-Marne
 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Peu d’articles et encore moins d’ouvrages ont traité ce cruel et délicat sujet au niveau haut-marnais. L’œuvre pionnière fut celle de M. Henriot, professeur honoraire d’histoire-géographie au lycée de Chaumont, et membre correspondant du Comité d’histoire de la deuxième guerre mondiale.

C’est à ce titre qu’il entreprit, en 1962, une enquête sur la déportation en Haute-Marne, entre 1940 et 1944, à partir de dossiers et fiches fournis par différents organismes rattachés au comité d’histoire de la deuxième guerre mondiale et aux Anciens Combattants (office départemental, directions départementale et interdépartementale de Nancy). Les résultats de ce premier travail présentés sous forme de tableaux commentés, inspirèrent, au niveau régional, une seconde réflexion sur ce thème, celle de J.P. Husson, en 1985. Publiée par les soins du Centre Régional de Documentation Pédagogique1, cette nouvelle étude aboutissait à une série de tableaux et cartes révélant les principaux aspects de la déportation en Champagne-Ardenne, et dans chaque département de cette région.

Dix ans après le travail de notre collègue rémois, le club Mémoire 52, fondé par Jean-Marie Chirol, rendait un nouvel hommage aux déportés et internés de Haute-Marne, en leur consacrant un poignant témoignage dont la matière provenait de longues et minutieuses recherches effectuées pendant quinze ans. D’une présentation simple, c’est l’une des rares approches locales de la déportation à travers les hommes qui l’ont vécue, qui en furent les victimes, et, sans qu’ils puissent l’expliquer eux-mêmes, les survivants aux chairs meurtries. Egrenant notices biographiques, photographies de couples ou de familles, portraits identifiés ou inconnus, ces pages émouvantes sont celles d’un livre, qui pourrait être le livre d’or « des Haut-Marnais déportés et internés ». Il est préfacé par l’un de leurs plus dignes compagnons de souffrance, M. Zahnd, Président départemental de l’ADDIRP (Association départementale des Déportés Internés Résistants Patriotes).

Obstinés et passionnés, les gens du Club Mémoire 52, leur président en tête poursuivirent leurs investigations après la parution de ce livre d’or. Ils continuèrent à collecter les informations, à rédiger et à éditer. Ainsi naquit, en 1997, le « Mémorial des Juifs en Haute-Marne » dans lequel « sont retracés avec minutie les évènements

 

marquant le sort des Juifs du département de septembre 1940 à la libération » (S. Klarsfeld).

Ces études sous la plume de J.-M. Chirol, bien que restées succinctes, n’en sont pas les moins détaillées sur la déportation en Haute-Marne. Au plan local, elles sont les seules qui traduisent cette terrible épreuve subie par un certain nombre de haut- marnais ; résistants, engagés politiques, juifs aussi. « Sans elles, écrira S. Klarsfeld à J.- M. Chirol, des dizaines de juifs disparus dans la SHOAH, seraient restées définitivement dans la nuit où les nazis et leurs complices les avaient brutalement précipités ».

A peine installé en Haute-Marne, au 14 juin 1940, l’occupant est déjà défié. Celui-ci réprime lourdement. Dès ce mois, cinq haut-marnais sont envoyés en déportation pour faits de résistance ou motifs politiques. Ils étaient les premiers d’une longue liste qui ne cessa pas de s’allonger jusqu’à la fin de la guerre.

Pour des raisons identiques, puis raciales en 1942, les arrestations s’ajoutèrent les unes aux autres, elles n’épargnèrent aucun mois. C’est particulièrement vrai de 1942 à 1944, années noires de la déportation en Haute-Marne. Alors qu’il avait triplé depuis 1941, le nombre de déportés haut-marnais quadruple entre ces deux dates. Il atteint, en 1944, le chiffre de 269, soit 52 % des déportés haut-marnais. En ce sens, la Haute-Marne ne diffère pas des autres départements de notre région pour qui, l’année 1944 fut celle des départs massifs vers les camps de concentration et d’extermination. Ce sont 60 % des déportés de Champagne Ardenne qui partent cette année là ; 74 % pour la Marne ; 58,5 % pour l’Aube ; 52 % pour la Haute-Marne et 47,8 % pour les Ardennes.

Il ne fait aucun doute que cette recrudescence de la déportation dans notre région tient à l’application des lois antisémites par le gouvernement de Vichy et à l’accélération de la « solution finale », étendue, depuis la conférence de Wannsee, le 20 juin 1942, à tous les pays européens occupés.

Dès le 23 juin 1941, la communauté juive haut-marnaise est touchée ; l’un des siens, d’origine russe, était arrêté à Bourbonne-les-Bains et dirigé sur Auschwitz. Quelques jours après la rafle du Val d’Hiv, les gendarmes français procèdent, le 19 juillet 1942, à diverses arrestations de juifs dans notre département. Le 30 juillet, pour infraction au port de l’étoile jaune, un couple de commerçants chaumontais est arrêté dans son magasin. Le 27 janvier 19442, la communauté juive haut-marnaise est pratiquement décimée. Quatre vingt seize de ses membres sont appréhendés au cours d’une grande rafle dans les trois arrondissements du département (voir carte).

 

Quatre vingt dix de ces « raflés » du 27 janvier 1944, après avoir été retenus à Drancy, sont ensuite déportés à Auschwitz, où ils sont exterminés à l’exception de l’un des leurs3. Au total, entre 1941 et 1944, ce sont cent quarante juifs haut-marnais qui sont « saisis » sur le sol du département, et dix-neuf autres en dehors. A l’exception de deux d’entre eux, tous furent exterminés dans les camps de la mort4 ; 84,8 % des femmes juives arrêtées en Haute-Marne périrent aussi en ces terribles lieux.

Comme partout dans l’Europe occupée, les Juifs ne sont pas les seuls à être traqués, les résistants sont aussi les proies de la Gestapo et de la Milice. L’année 1944 est assez éloquente à ce sujet. Cent trente sept personnes sont arrêtées et déportées pour motifs de résistance durant cette année clé, soit 26 % des déportés haut-marnais. Encouragée par les débarquements alliés sur les côtes françaises, la Résistance haut­marnaise, alors qu’elle se structure et se renforce, multiplié, cette année là, sabotages, attentats et parachutages. Elle s’expose ainsi davantage à l’ennemi, aux arrestations, aux exécutions et à la déportation.

Avec l’invasion de l’URSS, le 22 juin 1941, par les troupes hitlériennes, de nouvelles cibles se présentent à l’oppresseur. Ce sont les communistes. Déjà persécutés, voire radiés en Allemagne depuis l’incendie du Reichstag, leur chasse s’élargit aux pays vaincus ou soumis aux nazis. Le jour où la Wehrmacht entre en URSS, trente quatre adhérents ou sympathisants du parti communiste sont arrêtés dans le Nord de la Haute- Marne. Le lendemain ils sont encore 21 à tomber dans les griffes de l’ennemi. En 3 mois, de juin à août 1941, le parti communiste, dans notre département perd soixante-huit militants qui sont expédiés dans l’enfer nazi (Compiègne Royallieu en France, Auschwitz, Buchenwald, Flossenburg en Allemagne).

Du 15 juin 1940, date de l’invasion allemande en Haute-Marne, jusqu’à sa libération, le 13 septembre 1944, notre département vit partir 516 de ses habitants en déportation (22 % de l’effectif champardennais). Cité par M. Henriot et repris par J.-P. Husson, ce chiffre est un triste record pour la Haute-Marne. Dans le cadre régional, elle apparaît comme le département ayant le plus souffert de la déportation avec un déporté pour trois cents cinquante trois habitants (Marne, 1 pour 466 ; Aube, 1 pour 499 ; Ardennes, 1 pour 468 habitants).

Sur les 516 déportés haut-marnais, 509 personnes (430 hommes et 79 femmes), soit 98 % du total, ont plus de 18 ans ; 7 moins de 18 ans ; 2 ont moins de 6 ans et 4 sont âgés de plus de 65 ans. Le doyen des déportés a plus de 85 ans, la plus jeune à peine deux ans. Au niveau Champardennais, ils sont 2268 de cette même tranche d’âge à connaître la déportation dont 34,6 % dans la Marne ; 22,7 % en Haute-Marne ; 22,3 % dans les Ardennes et 20,4 % dans l’Aube. Ces pourcentages et chiffres montrent ainsi que la Gestapo et la police française frappent au cœur d’une population jeune et adulte, tantôt résistante, tantôt réfractaire, ou victime désignée de la « solution finale ».

 

La moitié des déportés Champardennais de plus de 18 ans périt dans les camps d’extermination (972 hommes et 377 femmes) ; 3/4 des moins de 18 ans ; 83 % des moins de six ans et 95 % des plus de 65 ans. Concernant les Haut-Marnais, deux cents soixante neuf d’entre eux, dont cent vingt raciaux moururent dans les camps de l’horreur, les prisons nazies ou pendant les longues marches de la mort, soit 51,5 % de l’effectif total haut-marnais déporté. 96 % des plus de dix huit ans, moitié des moins de dix-huit ans et des moins de six ans, et la totalité des plus de 65 ans y laissèrent leur vie.

Près de 13 % des déportés haut-marnais ont été dirigés sur le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau en Pologne (20 % pour la Champagne Ardenne). Il s’agissait presque exclusivement des déportés raciaux, en totalité des Juifs et de déportés politiques classés par les nazis « Nuit et Brouillard (N.N.). Puis Buchenwald (9 %), Dachau (8 %), Mauthausen (6 %) et Neuengamme furent aussi les ultimes étapes d’autres déportés haut-marnais, sans compter Bergen-Belsen, Flossenburg-Ravensbrück et Sachenhausen-Orianenburg. Au total l’ensemble de ces camps reçut 50 % des déportés haut-marnais, soit 258 individus, dont 143 (ou 55 %) y disparurent. La mortalité est particulièrement élevée à Auschwitz, où seuls trois individus sur les 67 haut-marnais, échappent aux chambres à gaz et fours crématoires de ce camp. Ils font partie des deux cents cinquante trois déportés (soit 48,5 % du total des déportés haut-marnais) qui eurent la chance de rentrer, et pouvoir témoigner ensuite.

Comme tous les autres départements français, de 1940 à 1944, la Haute-Marne connut la répression nazie. Une partie de sa population, juifs et résistants ou otages, nés ou non sur son territoire, ou arrêtés sur celui-ci, fut envoyée en déportation. C’est ce que les lignes précédentes ont voulu démontrer, mais elles ne sont en aucun cas exhaustives sur le sujet. Les sillons, tracés par J.-M. Chirol, sont encore à amender.

 

 

stèle aux déportés - cimetière Clamart de Chaumont. Cliché F. Michelot.

1 J.-P. Husson, La Déportation en Champagne-Ardenne. CRDP Reims, 3ème édition, 1985.

2 Ce même jour, 60 juifs sont arrêtés à Reims-Tinqueux (51).

3 Il s’agit du convoi 68 au départ de Drancy, comprenant 1500 internés (680 hommes ; 820 jeunes) dont 279 enfants et adolescents de moins de 18 ans. Dans ce convoi sont embarqués 84 des juifs arrêtés le 27 janvier.

4 Pour la Champagne Ardenne, 442 déportés raciaux furent exterminés de 1941 à 1944.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MEMERE extrait d'un récit de Pierette Jondreville

Mes grands-parents habitent un pays en Haute-Marne, Chamouilley, près de Saint-Dizier.

C'est la campagne, avec des cultivateurs mais aussi des ouvriers qui travaillent à l'usine, une fonderie, comme on en trouve dans les pays le long de la Marne, à Chevillon, Marnaval...
Pépère Louis a travaillé à l'usine Champenois qui cerclait les roues des engins agricoles, mais à cette époque de la guerre, il a déjà 65 ans, il ne travaille plus, il est usé et a tendance à abuser de la goutte et du cidre. Alors c'est mémère qui fait bouillir la marmite.

Mémère fait le jardin, elle élève quelques vaches, des poules et des lapins, et un cochon qu'on tue le moment venu, mais surtout elle a le dépôt de lait du village.

Avant de rentrer les vaches dans les prés, je ramasse les pommes et mémère fait de la compote et du cidre que nous vendons, c'est la période de la guerre et des privations.
Tous les matins avant d'aller à l'école et le soir en revenant, je fais le tour des fermes pour ramasser les bidons de lait avec une carriole.Les gens du pays viennent matin et soir nous acheter le lait. Mémère installe une table à l'entrée de la cuisine et remplit les pots de lait en discutant avec tout le monde, c'est une petite femme souriante et gentille, pas du genre à faire des commérages.

A cette période, le lait est rationné avec les tickets, seulement 1/4 de litre par personne et par jour, les Allemands passent tous les jours récupérer ce qu'il reste, bref on est réquisitionné!

Mais les soldats allemands m'aiment bien. Je suis une petite-fille blonde, avec des cheveux longs et frisés, avec des yeux bleux très cliars, je crois que je leur rappelle une petite-fille dont ils sont loin, qui leur manque...Alors on passe les premières avec mémère lorsqu'on fait la queue à la soupe populaire!

Je me souviens de début 1940...J'ai connu 24 heures d'exode, nous sommes partis de Chamouilley avec des brouettes remplies d'un tas de bazard et moi assise par-dessus; nous sommes allés jusqu'à Bayard, à 5 km environ de chez nous, nous avons dormi dans les premières maisons abandonnées du village et nous avons fait demi-tour le lendemain, car les Allemands nous avaient dépassés dans la nuit!

Après la guerre, les choses changent.
Mémère achète une écrémeuse pour utiliser le surplus du lait et elle commence à faire des fromages blancs et de la crème fraîche que les gens du pays viennent chercher avec une assiette creuse à la main ou une boîte de cantine en fer (on est encore loin des Tuperware à cette époque). En été, je cueille les fraises du jardin, je les lave, les équeute et on les vend avec une mesure de crème fraîche.
Mémère a toujours été une femme entreprenante pour son époque.
Elle avait vécu plusieurs année en Angleterre, rejoignant sa sœur Berthe qui s’était placée dans une riche famille anglaise, comme cuisinière.
C’est la tante Berthe qui était une pionnière ! Je ne sais quelle circonstance l’avait fait partir de son pays natal, à une époque où les jeunes-filles se mariaient au pays ou dans les alentours….toujours est-il que cette femme a eu une vie d’aventurière pour l’époque, elle était rousse flamboyante, portait des pantalons, fumait le cigare, elle a même planqué le musicien Ravel pendant la guerre de 1914 à Chamouilley dans sa maison et elle est morte en 1942 à Tanger.
Mémère avait donc été femme de chambre chez des anglais avant 1900 ! Elle avait ramené des habitudes anglaises qui paraissaient bizarres aux gens du pays : le thé, le pain grillé, le pudding qu’elle faisait avec le pain rassis, et la confiture d’orange ! Aujourd’hui encore, je fais de la confiture d’orange avec sa recette et je bois du thé à 5h.
Je suis une gamine qui sait se débrouiller toute seule par la force des choses….
Je me souviens qu’à 12 ans, un jour d’été je vais me baigner dans la Marne avec les gosses du pays. Je rentre juste pour distribuer le lait et je n’ai pas le temps d’enlever mon maillot de bain mouillé et le soir je suis prise d’un mal de ventre terrible, mémère met ça sur le compte du maillot mouillé, j’ai sûrement pris froid !...Seulement le lendemain, j’ai mal de plus belle et on appelle le Dr Florentin du pays d’à côté, Eurville. C’est l’appendicite ! Alors le docteur m’emmène dans sa voiture à l’hôpital à Saint-Dizier et me dépose devant l’entrée au bas des escaliers. Je me sens malheureuse, timide et rougissante en faisant les papiers toute seule, mais le pire c’est quand je me retrouve dans une chambre de quinze personnes et qu’on vient me faire des soins intimes pour me préparer à l’opération, je n’ai jamais eu aussi honte…
Un an plus tard, en 1945, je vais passer huit jours chez une autre sœur de mon père à Signéville, près d’Andelot. Au retour, je prends le car d’Andelot jusqu’à Joinville, où je dois prendre un train jusqu’à Eurville. Seulement quand j’arrive, le train ne nous a pas attendus et c’est le dernier de la journée, donc je me retrouve vers 8 heures du soir toute seule à la gare de Joinville, pas fière de moi…Alors je prends mon courage à deux mains et je rentre dans l’hôtel en face de la gare et je leur demande de téléphoner à des gens du pays (avoir le téléphone était rare à l’époque) pour dire à mémère que j’avais raté le train et que je dormais à l’hôtel. Je ne me souviens pas comment j’ai payé, mais on a été vraiment gentil avec moi, j’ai mangé dans la salle de restaurant de l’hôtel toute seule à une table et j’ai dormi dans un grand lit ! Et j’ai repris le train le matin, à la première heure.

Le lendemain de mon certificat d’études (que j’ai eu brillamment – l’institutrice voulait que je continue), je me lève à 5h pour aller bêcher les betteraves au champ et je commence vraiment à travailler avec mémère tous les jours. Comme je suis courageuse, en bonne santé, ça ne me pose pas de problème et puis, je n’ai pas le choix, nous sommes trop pauvres pour que j’aille encore à l’école.


J’aurais voulu être coiffeuse ou infirmière, coiffeuse parce que j’admirais la coiffeuse du village, Mme Legendre, une belle femme forte qui avait toujours le sourire avec tout le monde, elle trouvait que j’avais une chevelure magnifique et je crois qu’elle était pour moi un modèle de femme qui réussit et elle aura d’ailleurs une influence dans ma décision de reprendre ce bureau de tabac en 1959.

Mais infirmière a été un de mes grands rêves aussi, parce que tout simplement je faisais régulièrement l’infirmière dans mon entourage. Je m’occupais de mon grand-père malade, je le rasais toutes les semaines, je lui faisais des piqûres, je l’aidais à cracher, tout naturellement.
Un jour, une petite voisine, de quelques années de moins que moi, s’est empalée sur une grille, c’est moi que sa mère a appelée pour la sortir de là tellement elle paniquait devant la situation. J’ai gardé mon sang-froid, je l’ai sortie de là et je lui ai prodigué les premiers soins avant l’arrivée du docteur.