LALLEMAND Yvon (1948 - 2011)
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Culture
Aspects de la déportation en Haute-Marne
(1940-1944)
Par Francis Michelot, responsable du service éducatif des
Archives départementales de la Haute-Marne
Peu d’articles et encore moins d’ouvrages ont traité ce cruel et délicat sujet au niveau haut-marnais. L’œuvre pionnière fut celle de M. Henriot, professeur honoraire d’histoire-géographie au lycée de Chaumont, et membre correspondant du Comité d’histoire de la deuxième guerre mondiale.
C’est à ce titre qu’il entreprit, en 1962, une enquête sur la déportation en Haute-Marne, entre 1940 et 1944, à partir de dossiers et fiches fournis par différents organismes rattachés au comité d’histoire de la deuxième guerre mondiale et aux Anciens Combattants (office départemental, directions départementale et interdépartementale de Nancy). Les résultats de ce premier travail présentés sous forme de tableaux commentés, inspirèrent, au niveau régional, une seconde réflexion sur ce thème, celle de J.P. Husson, en 1985. Publiée par les soins du Centre Régional de Documentation Pédagogique1, cette nouvelle étude aboutissait à une série de tableaux et cartes révélant les principaux aspects de la déportation en Champagne-Ardenne, et dans chaque département de cette région.
Dix ans après le travail de notre collègue rémois, le club Mémoire 52, fondé par Jean-Marie Chirol, rendait un nouvel hommage aux déportés et internés de Haute-Marne, en leur consacrant un poignant témoignage dont la matière provenait de longues et minutieuses recherches effectuées pendant quinze ans. D’une présentation simple, c’est l’une des rares approches locales de la déportation à travers les hommes qui l’ont vécue, qui en furent les victimes, et, sans qu’ils puissent l’expliquer eux-mêmes, les survivants aux chairs meurtries. Egrenant notices biographiques, photographies de couples ou de familles, portraits identifiés ou inconnus, ces pages émouvantes sont celles d’un livre, qui pourrait être le livre d’or « des Haut-Marnais déportés et internés ». Il est préfacé par l’un de leurs plus dignes compagnons de souffrance, M. Zahnd, Président départemental de l’ADDIRP (Association départementale des Déportés Internés Résistants Patriotes).
Obstinés et passionnés, les gens du Club Mémoire 52, leur président en tête poursuivirent leurs investigations après la parution de ce livre d’or. Ils continuèrent à collecter les informations, à rédiger et à éditer. Ainsi naquit, en 1997, le « Mémorial des Juifs en Haute-Marne » dans lequel « sont retracés avec minutie les évènements
marquant le sort des Juifs du département de septembre 1940 à la libération » (S. Klarsfeld).
Ces études sous la plume de J.-M. Chirol, bien que restées succinctes, n’en sont pas les moins détaillées sur la déportation en Haute-Marne. Au plan local, elles sont les seules qui traduisent cette terrible épreuve subie par un certain nombre de haut- marnais ; résistants, engagés politiques, juifs aussi. « Sans elles, écrira S. Klarsfeld à J.- M. Chirol, des dizaines de juifs disparus dans la SHOAH, seraient restées définitivement dans la nuit où les nazis et leurs complices les avaient brutalement précipités ».
A peine installé en Haute-Marne, au 14 juin 1940, l’occupant est déjà défié. Celui-ci réprime lourdement. Dès ce mois, cinq haut-marnais sont envoyés en déportation pour faits de résistance ou motifs politiques. Ils étaient les premiers d’une longue liste qui ne cessa pas de s’allonger jusqu’à la fin de la guerre.
Pour des raisons identiques, puis raciales en 1942, les arrestations s’ajoutèrent les unes aux autres, elles n’épargnèrent aucun mois. C’est particulièrement vrai de 1942 à 1944, années noires de la déportation en Haute-Marne. Alors qu’il avait triplé depuis 1941, le nombre de déportés haut-marnais quadruple entre ces deux dates. Il atteint, en 1944, le chiffre de 269, soit 52 % des déportés haut-marnais. En ce sens, la Haute-Marne ne diffère pas des autres départements de notre région pour qui, l’année 1944 fut celle des départs massifs vers les camps de concentration et d’extermination. Ce sont 60 % des déportés de Champagne Ardenne qui partent cette année là ; 74 % pour la Marne ; 58,5 % pour l’Aube ; 52 % pour la Haute-Marne et 47,8 % pour les Ardennes.
Il ne fait aucun doute que cette recrudescence de la déportation dans notre région tient à l’application des lois antisémites par le gouvernement de Vichy et à l’accélération de la « solution finale », étendue, depuis la conférence de Wannsee, le 20 juin 1942, à tous les pays européens occupés.
Dès le 23 juin 1941, la communauté juive haut-marnaise est touchée ; l’un des siens, d’origine russe, était arrêté à Bourbonne-les-Bains et dirigé sur Auschwitz. Quelques jours après la rafle du Val d’Hiv, les gendarmes français procèdent, le 19 juillet 1942, à diverses arrestations de juifs dans notre département. Le 30 juillet, pour infraction au port de l’étoile jaune, un couple de commerçants chaumontais est arrêté dans son magasin. Le 27 janvier 19442, la communauté juive haut-marnaise est pratiquement décimée. Quatre vingt seize de ses membres sont appréhendés au cours d’une grande rafle dans les trois arrondissements du département (voir carte).
Quatre vingt dix de ces « raflés » du 27 janvier 1944, après avoir été retenus à Drancy, sont ensuite déportés à Auschwitz, où ils sont exterminés à l’exception de l’un des leurs3. Au total, entre 1941 et 1944, ce sont cent quarante juifs haut-marnais qui sont « saisis » sur le sol du département, et dix-neuf autres en dehors. A l’exception de deux d’entre eux, tous furent exterminés dans les camps de la mort4 ; 84,8 % des femmes juives arrêtées en Haute-Marne périrent aussi en ces terribles lieux.
Comme partout dans l’Europe occupée, les Juifs ne sont pas les seuls à être traqués, les résistants sont aussi les proies de la Gestapo et de la Milice. L’année 1944 est assez éloquente à ce sujet. Cent trente sept personnes sont arrêtées et déportées pour motifs de résistance durant cette année clé, soit 26 % des déportés haut-marnais. Encouragée par les débarquements alliés sur les côtes françaises, la Résistance hautmarnaise, alors qu’elle se structure et se renforce, multiplié, cette année là, sabotages, attentats et parachutages. Elle s’expose ainsi davantage à l’ennemi, aux arrestations, aux exécutions et à la déportation.
Avec l’invasion de l’URSS, le 22 juin 1941, par les troupes hitlériennes, de nouvelles cibles se présentent à l’oppresseur. Ce sont les communistes. Déjà persécutés, voire radiés en Allemagne depuis l’incendie du Reichstag, leur chasse s’élargit aux pays vaincus ou soumis aux nazis. Le jour où la Wehrmacht entre en URSS, trente quatre adhérents ou sympathisants du parti communiste sont arrêtés dans le Nord de la Haute- Marne. Le lendemain ils sont encore 21 à tomber dans les griffes de l’ennemi. En 3 mois, de juin à août 1941, le parti communiste, dans notre département perd soixante-huit militants qui sont expédiés dans l’enfer nazi (Compiègne Royallieu en France, Auschwitz, Buchenwald, Flossenburg en Allemagne).
Du 15 juin 1940, date de l’invasion allemande en Haute-Marne, jusqu’à sa libération, le 13 septembre 1944, notre département vit partir 516 de ses habitants en déportation (22 % de l’effectif champardennais). Cité par M. Henriot et repris par J.-P. Husson, ce chiffre est un triste record pour la Haute-Marne. Dans le cadre régional, elle apparaît comme le département ayant le plus souffert de la déportation avec un déporté pour trois cents cinquante trois habitants (Marne, 1 pour 466 ; Aube, 1 pour 499 ; Ardennes, 1 pour 468 habitants).
Sur les 516 déportés haut-marnais, 509 personnes (430 hommes et 79 femmes), soit 98 % du total, ont plus de 18 ans ; 7 moins de 18 ans ; 2 ont moins de 6 ans et 4 sont âgés de plus de 65 ans. Le doyen des déportés a plus de 85 ans, la plus jeune à peine deux ans. Au niveau Champardennais, ils sont 2268 de cette même tranche d’âge à connaître la déportation dont 34,6 % dans la Marne ; 22,7 % en Haute-Marne ; 22,3 % dans les Ardennes et 20,4 % dans l’Aube. Ces pourcentages et chiffres montrent ainsi que la Gestapo et la police française frappent au cœur d’une population jeune et adulte, tantôt résistante, tantôt réfractaire, ou victime désignée de la « solution finale ».
La moitié des déportés Champardennais de plus de 18 ans périt dans les camps d’extermination (972 hommes et 377 femmes) ; 3/4 des moins de 18 ans ; 83 % des moins de six ans et 95 % des plus de 65 ans. Concernant les Haut-Marnais, deux cents soixante neuf d’entre eux, dont cent vingt raciaux moururent dans les camps de l’horreur, les prisons nazies ou pendant les longues marches de la mort, soit 51,5 % de l’effectif total haut-marnais déporté. 96 % des plus de dix huit ans, moitié des moins de dix-huit ans et des moins de six ans, et la totalité des plus de 65 ans y laissèrent leur vie.
Près de 13 % des déportés haut-marnais ont été dirigés sur le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau en Pologne (20 % pour la Champagne Ardenne). Il s’agissait presque exclusivement des déportés raciaux, en totalité des Juifs et de déportés politiques classés par les nazis « Nuit et Brouillard (N.N.). Puis Buchenwald (9 %), Dachau (8 %), Mauthausen (6 %) et Neuengamme furent aussi les ultimes étapes d’autres déportés haut-marnais, sans compter Bergen-Belsen, Flossenburg-Ravensbrück et Sachenhausen-Orianenburg. Au total l’ensemble de ces camps reçut 50 % des déportés haut-marnais, soit 258 individus, dont 143 (ou 55 %) y disparurent. La mortalité est particulièrement élevée à Auschwitz, où seuls trois individus sur les 67 haut-marnais, échappent aux chambres à gaz et fours crématoires de ce camp. Ils font partie des deux cents cinquante trois déportés (soit 48,5 % du total des déportés haut-marnais) qui eurent la chance de rentrer, et pouvoir témoigner ensuite.
Comme tous les autres départements français, de 1940 à 1944, la Haute-Marne connut la répression nazie. Une partie de sa population, juifs et résistants ou otages, nés ou non sur son territoire, ou arrêtés sur celui-ci, fut envoyée en déportation. C’est ce que les lignes précédentes ont voulu démontrer, mais elles ne sont en aucun cas exhaustives sur le sujet. Les sillons, tracés par J.-M. Chirol, sont encore à amender.
stèle aux déportés - cimetière Clamart de Chaumont. Cliché F. Michelot.
1 J.-P. Husson, La Déportation en Champagne-Ardenne. CRDP Reims, 3ème édition, 1985.
2 Ce même jour, 60 juifs sont arrêtés à Reims-Tinqueux (51).
3 Il s’agit du convoi 68 au départ de Drancy, comprenant 1500 internés (680 hommes ; 820 jeunes) dont 279 enfants et adolescents de moins de 18 ans. Dans ce convoi sont embarqués 84 des juifs arrêtés le 27 janvier.
4 Pour la Champagne Ardenne, 442 déportés raciaux furent exterminés de 1941 à 1944.
MEMERE extrait d'un récit de Pierette Jondreville
Mes grands-parents habitent un pays en Haute-Marne, Chamouilley, près de Saint-Dizier.
C'est la campagne, avec des cultivateurs mais aussi des ouvriers qui travaillent à l'usine, une fonderie, comme on en trouve dans les pays le long de la Marne, à Chevillon, Marnaval...
Pépère Louis a travaillé à l'usine Champenois qui cerclait les roues des engins agricoles, mais à cette époque de la guerre, il a déjà 65 ans, il ne travaille plus, il est usé et a tendance à abuser de la goutte et du cidre. Alors c'est mémère qui fait bouillir la marmite.
Mémère fait le jardin, elle élève quelques vaches, des poules et des lapins, et un cochon qu'on tue le moment venu, mais surtout elle a le dépôt de lait du village.
Avant de rentrer les vaches dans les prés, je ramasse les pommes et mémère fait de la compote et du cidre que nous vendons, c'est la période de la guerre et des privations.
Tous les matins avant d'aller à l'école et le soir en revenant, je fais le tour des fermes pour ramasser les bidons de lait avec une carriole.Les gens du pays viennent matin et soir nous acheter le lait. Mémère installe une table à l'entrée de la cuisine et remplit les pots de lait en discutant avec tout le monde, c'est une petite femme souriante et gentille, pas du genre à faire des commérages.
A cette période, le lait est rationné avec les tickets, seulement 1/4 de litre par personne et par jour, les Allemands passent tous les jours récupérer ce qu'il reste, bref on est réquisitionné!
Mais les soldats allemands m'aiment bien. Je suis une petite-fille blonde, avec des cheveux longs et frisés, avec des yeux bleux très cliars, je crois que je leur rappelle une petite-fille dont ils sont loin, qui leur manque...Alors on passe les premières avec mémère lorsqu'on fait la queue à la soupe populaire!
Je me souviens de début 1940...J'ai connu 24 heures d'exode, nous sommes partis de Chamouilley avec des brouettes remplies d'un tas de bazard et moi assise par-dessus; nous sommes allés jusqu'à Bayard, à 5 km environ de chez nous, nous avons dormi dans les premières maisons abandonnées du village et nous avons fait demi-tour le lendemain, car les Allemands nous avaient dépassés dans la nuit!
Après la guerre, les choses changent.
Mémère achète une écrémeuse pour utiliser le surplus du lait et elle commence à faire des fromages blancs et de la crème fraîche que les gens du pays viennent chercher avec une assiette creuse à la main ou une boîte de cantine en fer (on est encore loin des Tuperware à cette époque). En été, je cueille les fraises du jardin, je les lave, les équeute et on les vend avec une mesure de crème fraîche.
Mémère a toujours été une femme entreprenante pour son époque.
Elle avait vécu plusieurs année en Angleterre, rejoignant sa sœur Berthe qui s’était placée dans une riche famille anglaise, comme cuisinière.
C’est la tante Berthe qui était une pionnière ! Je ne sais quelle circonstance l’avait fait partir de son pays natal, à une époque où les jeunes-filles se mariaient au pays ou dans les alentours….toujours est-il que cette femme a eu une vie d’aventurière pour l’époque, elle était rousse flamboyante, portait des pantalons, fumait le cigare, elle a même planqué le musicien Ravel pendant la guerre de 1914 à Chamouilley dans sa maison et elle est morte en 1942 à Tanger.
Mémère avait donc été femme de chambre chez des anglais avant 1900 ! Elle avait ramené des habitudes anglaises qui paraissaient bizarres aux gens du pays : le thé, le pain grillé, le pudding qu’elle faisait avec le pain rassis, et la confiture d’orange ! Aujourd’hui encore, je fais de la confiture d’orange avec sa recette et je bois du thé à 5h.
Je suis une gamine qui sait se débrouiller toute seule par la force des choses….
Je me souviens qu’à 12 ans, un jour d’été je vais me baigner dans la Marne avec les gosses du pays. Je rentre juste pour distribuer le lait et je n’ai pas le temps d’enlever mon maillot de bain mouillé et le soir je suis prise d’un mal de ventre terrible, mémère met ça sur le compte du maillot mouillé, j’ai sûrement pris froid !...Seulement le lendemain, j’ai mal de plus belle et on appelle le Dr Florentin du pays d’à côté, Eurville. C’est l’appendicite ! Alors le docteur m’emmène dans sa voiture à l’hôpital à Saint-Dizier et me dépose devant l’entrée au bas des escaliers. Je me sens malheureuse, timide et rougissante en faisant les papiers toute seule, mais le pire c’est quand je me retrouve dans une chambre de quinze personnes et qu’on vient me faire des soins intimes pour me préparer à l’opération, je n’ai jamais eu aussi honte…
Un an plus tard, en 1945, je vais passer huit jours chez une autre sœur de mon père à Signéville, près d’Andelot. Au retour, je prends le car d’Andelot jusqu’à Joinville, où je dois prendre un train jusqu’à Eurville. Seulement quand j’arrive, le train ne nous a pas attendus et c’est le dernier de la journée, donc je me retrouve vers 8 heures du soir toute seule à la gare de Joinville, pas fière de moi…Alors je prends mon courage à deux mains et je rentre dans l’hôtel en face de la gare et je leur demande de téléphoner à des gens du pays (avoir le téléphone était rare à l’époque) pour dire à mémère que j’avais raté le train et que je dormais à l’hôtel. Je ne me souviens pas comment j’ai payé, mais on a été vraiment gentil avec moi, j’ai mangé dans la salle de restaurant de l’hôtel toute seule à une table et j’ai dormi dans un grand lit ! Et j’ai repris le train le matin, à la première heure.
Le lendemain de mon certificat d’études (que j’ai eu brillamment – l’institutrice voulait que je continue), je me lève à 5h pour aller bêcher les betteraves au champ et je commence vraiment à travailler avec mémère tous les jours. Comme je suis courageuse, en bonne santé, ça ne me pose pas de problème et puis, je n’ai pas le choix, nous sommes trop pauvres pour que j’aille encore à l’école.
J’aurais voulu être coiffeuse ou infirmière, coiffeuse parce que j’admirais la coiffeuse du village, Mme Legendre, une belle femme forte qui avait toujours le sourire avec tout le monde, elle trouvait que j’avais une chevelure magnifique et je crois qu’elle était pour moi un modèle de femme qui réussit et elle aura d’ailleurs une influence dans ma décision de reprendre ce bureau de tabac en 1959.
Mais infirmière a été un de mes grands rêves aussi, parce que tout simplement je faisais régulièrement l’infirmière dans mon entourage. Je m’occupais de mon grand-père malade, je le rasais toutes les semaines, je lui faisais des piqûres, je l’aidais à cracher, tout naturellement.
Un jour, une petite voisine, de quelques années de moins que moi, s’est empalée sur une grille, c’est moi que sa mère a appelée pour la sortir de là tellement elle paniquait devant la situation. J’ai gardé mon sang-froid, je l’ai sortie de là et je lui ai prodigué les premiers soins avant l’arrivée du docteur.