Ouvrier tu nais, ouvrier tu restes. Fatalité. Et même pas de quoi se révolter quand on naît à Marnaval, en 1926, dans une famille d'ouvrier. Alors, qu'est-ce qui a bien pu se passer pour Yvon Régin, devenu instituteur, secrétaire de mairie (à Chamouilley) et écrivain ? C'est peut-être ce qu'il essaie de dire dans "Les Automnales", un de ses plus beaux livres, où il relate sa dernière année d'école primaire à Marnaval, avant le basculement dans "l'autre monde" : le collège, et l'école d'instituteurs pour lui, l'usine à quatorze ans pour la plupart de ses camarades. " Les Automnales ", c'est tout un univers de vie ouvrière dans le regard d'un enfant. Comment se côtoient ces deux mondes - celui de l'enfance, celui des adultes. Avec son cortège d'aventures, d'affrontements, fanfare et chapardages. Et les rôles éminents du curé et de l'instituteur. Un enfant s'éveille au monde. Dure et violente réalité à Marnaval en ces années là. Mais toute la jouissance, aussi, de la forêt, de la Marne. Arbres cabanes et bagarres avec ceux du Clos-Mortier, le quartier rival. Comme il le fit pour la plupart de ces livres, c'est à compte-d'auteur que furent publiées " Les Automnales ". Et l'adhésion de toute la famille à ce projet solitaire, puisque c'était pris sur ses (maigres) économies. Une dizaines de livres, ainsi. Auxquels il faut ajouter une étude remarquable sur la catastrophe de Marnaval (1883). Ecrire sera toujours pour Yvon Régin (à quelques exceptions près) sa manière de ne jamais quitter Marnaval. Sa fidélité. Fidélité que dans son dernier livre, "La côte aux chats", il prévoit d'entretenir jusque dans l'éternité, lui qui croyait tellement aux hommes qu'il croyait même en Dieu.
LA CÔTE AUX CHATS (extrait)
... Il fallait bien que l'inévitable survînt un jour ou l'autre... Nos fîers-à-bras ont tellement bien passé la main dans le dos au Bon Dieu qu'il a fini par exaucer leur ardente prière en leur reconstruisant leur bonne vieille usine dans un des plus beaux coins de son Paradis... pour qu'ils soient à jamais divinement heureux...
Maintenant vous avez tout compris. Que sont les brouillards de l'automne dans la vallée de la Marne sinon la fumée grise des grandes cheminées que le vent rabat sur le village ? Et les éclairs qui illuminent le ciel les soirs d'orage sont bien venus de là-haut : ce sont les grands arcs électriques des tableaux de la centrale et de la sous-station ; quant aux grondements indécis que l'on perçoit au loin, ce sont ceux de la turbine, des ponts roulants et des trains de laminoirs, et les gros coups de tonnerre proviennent bien du casse-fonte, des marteaux pilons et du blooming. Et vous saurez aussi à présent que la rougeur de l'horizon au soleil couchant, c'est bien la lointaine et sauvage rombleur des coulées aux hauts-fourneaux et à l'aciérie...
... Et les gerbes d'étincelles qui réjouissaient nos yeux d'enfants sous les scies, devant les meules et au-dessus des lingotières dans la fosse de coulée se sont à jamais figées en étoiles brillantes dans la voûte bleue du beau ciel de nos souvenirs, éclairant des nuits sereines pleines de beaux
rêves, où tous les bruits de l'usine, comme revenus du fond des âges, chantent en une rumeur grandiose, mêlés aux cris joyeux des enfants dans les cours de l'école Diderot, aux acclamations des supporters de l'Union Sportive Marnavalaise, à la musique de la fanfare des Forges, à la voix puissante du curé Blanchot, au chant des cloches de notre église Saint-Charles, à l'appel à peine assourdi de notre sirène et aux francs rires du monde ouvrier, étrange et rudement belle symphonie du tout simple bonheur de ce temps là...